Jérémie Azou a été médaillé d’or en aviron aux Jeux Olympiques de Rio en 2016. Dans ce long entretien, Jérémie Azou, qui a récolté au total soixante-et-une médailles (dont dix médailles d’or en Coupe du Monde) revient sur sa magnifique carrière et ces moments qui ont jalonné sa vie d’athlète. Aujourd’hui retraité de sa discipline, il évoque également les nouveaux projets qu’il a en tête. Et notamment son livre intitulé « Une médaille à la Faim ! » qui sortira fin mai dans les libraires. Rencontre avec ce champion Olympique.
Tout d’abord, pour ceux qui ne connaissent pas l’aviron, pouvez-vous nous présenter votre discipline ?
L’aviron est un sport inscrit au programme des Jeux Olympiques depuis sa création. C’est un sport d’extérieur. L’activité consiste à se déplacer à l’aide d’un bateau et d’avirons (rames). Il peut se pratiquer seul ou à plusieurs, en rivière ou en mer, en loisir ou en compétition, et à tout âge (il reste néanmoins difficile de commencer avant 10 ans car le matériel est souvent peu adapté). L’aviron fait partie des sports les plus complets. Il demande une bonne souplesse, de la force, le sens de la glisse, une bonne endurance et l’esprit d’équipe.
A quel âge avez-vous commencé l’aviron ?
J’ai commencé à 13 ans.
L’aviron, c’était tout de suite une évidence pour vous ? Ou vous êtes-vous essayé à différents sports avant ?
Pas du tout. J’ai découvert ce sport par hasard. Lors de ma première séance ça n’a pas été le coup de foudre. La vocation s’est réveillée avec les kilomètres et les rencontres. Avant, je faisais de la natation en compétition. Sinon dans mon enfance j’ai fait du judo, du foot, de la gymnastique, et du tennis.
Au cours de votre grande carrière dans le monde de l’aviron, vous avez remporté soixante-et-une médailles. Quel est le plus beau moment de votre carrière que vous gardez en tête ?
Impossible d’en citer une en particulier. Ce n’est pas le brillant de la médaille qui fait sa valeur. Chaque médaille a son histoire et reste unique. S’il fallait absolument donner une réponse, je dirais que le plus beau moment de ma carrière ne correspond pas à une médaille, mais à plutôt à une nouvelle : apprendre que mon coéquipier Stany Delayre ne finirait pas en fauteuil roulant après son accident en 2013.
Avez-vous un entraîneur qui, au cours de votre carrière, vous a particulièrement marqué ? Et pourquoi ?
Je dirais que j’en ai eu trois. Mon entraîneur de natation, Charles Mora. Grâce à lui j’ai eu mon premier déclic. J’ai pris confiance en moi. J’ai ensuite eu deux entraîneurs d’aviron : mon entraîneur de club Marc Boudoux, et mon entraîneur en équipe de France Alexis Besançon. Chacun à leur manière m’ont permis de devenir le champion et l’Homme que je suis aujourd’hui.
En quelle année avez-vous connu votre première sélection avec l’Équipe de France ?
J’ai connu ma première sélection en 2005, à l’occasion du match France/Grande-Bretagne.
Quels sont vos meilleurs souvenirs en Équipe de France ?
Sûrement ceux de Junior (club et Equipe de France). En 2007 on était une belle équipe de champions. On a fait les 400 coups. Je me marre encore en y repensant.
Votre spécialité était le deux de couple poids léger. Quels sont les difficultés que l’on peut rencontrer en compétition dans cette spécialité ?
Le deux de couple poids léger a toujours été réputé pour sa densité. Chaque course est un nouveau combat. Rien n’est acquis d’avance. L’autre difficulté vient du régime. C’est une contrainte importante dans la préparation. J’ai d’ailleurs écrit un livre à ce sujet qui sortira fin mai en librairie (« Une médaille à la Faim ! »).
En 2016, aux Jeux Olympiques de Rio, vous devenez Champion olympique en deux de couple poids léger avec votre équipier Pierre Houin. Quel souvenir gardez-vous de ce moment ? Pouvez-vous nous parler de votre duo avec Pierre Houin ?
L’or olympique c’est le graal pour un rameur. C’est la plus belle récompense sportive. L’année laisse un souvenir mélangé pour autant. Nous étions trois rameurs pour deux places. Mon coéquipier de 2015 (Stany Delayre) avait qui j’étais champion du monde en titre était sur la berge à nous regarder gagner…donc il y a mieux comme souvenir même si derrière le petit écran cela ressemble à un rêve de gosse qui se réalise.
Pierre est un superbe athlète, un excellent compétiteur et un bon compagnon. Il lui fallait toutes ces qualités de toute façon pour arriver à se titulariser l’année olympique alors que le bateau était champion du monde en titre. Même si j’ai arrêté ma carrière on continue de s’appeler. Je le suis de près le « petit ».
Quel était votre principale stratégie avant de prendre le départ d’une course ?
J’aimais faire du négative split (être plus rapide dans la deuxième partie de course). Mais nos qualités de starters nous permettaient souvent de partir en tête dès les premiers coups de pelles. Une aubaine.
Avant d’aborder une grande compétition, aviez-vous une préparation mentale particulière ? Aviez-vous également des petits rituels avant chaque entrée en compétition ?
Pas que je sache. J’ai toujours été gâté de ce côté-là. Je n’ai presque jamais ressenti le stress (négatif). C’est ce que permettent l’entraînement et la préparation : avoir confiance en soi.
Combien d’heures passiez-vous à l’entraînement ? Pouvez-vous nous décrire à quoi ressemblaient vos entraînements ?
Je m’entraînais deux heures le matin et deux heures le soir. Le matin je ramais et le soir je faisais de la musculation, ou de la course à pied, ou du vélo ou encore de l’ergomètre (rameur en salle). Sur une semaine cela correspond à 20-25 heures effectives. Il faut noter que l’aviron n’est pas un sport professionnel et qu’une « vraie » activité professionnelle vient se greffer dessus.
Qu’est-ce que vous détestiez le plus durant les entraînements ? Et ce que vous aimiez le plus.
Difficile de choisir. C’est fort comme mot « détester ». Je dirais les B2 (séance d’entrainement en bateau avec un certaine cadence et une certaine intensité : difficile de rentrer vraiment dans les détails, les rameurs comprendrons)
Le repos. Il parait que cela fait partie de l’entraînement (rire). Plus sérieusement, le travail de vitesse. C’est ce qui se rapproche le plus des conditions de course. C’est le plus ludique et le plus concret.
Durant votre carrière, quelles étaient vos principales qualités et défauts en course ?
Qualités : d’être généreux dans l’effort. Ne jamais baisser les bras quel que soit la situation.
Défaut : difficile à battre ( il fait un clin d’oeil).
Qui étaient également vos principaux adversaires ?
Nos principaux adversaires étaient anglais, norvégiens, italiens, sud-africains, irlandais, polonais, allemands, suisses, grecs et américains.
Vous avez également été dix fois médaillé d’or en Coupe du Monde. Pouvez-vous nous expliquer comment se déroule cette compétition ?
La compétition se passe sur un week-end (contrairement à un championnat du monde ou aux JO qui sont étalés sur une semaine). Les courses s’enchaînent. Il faut en compter au moins une par jour. La récupération et la gestion du poids sur ces 72h sont extrêmement importantes. Il arrive que la hiérarchie soit bousculée parce qu’un équipage n’a pas bien géré l’un de ces paramètres.
Aujourd’hui vous êtes à la retraite. Au début, c’était compliqué pour vous de ne plus avoir ce quotidien d’athlète ? Ou avez-vous réussi à tourner la page sans difficulté ? Si aujourd’hui, une seule chose devait vous manquer dans l’aviron, qu’est-ce que ce serait ?
Au contraire, c’était une délivrance. C’est pour cette raison que j’ai arrêté. Après 10 ans de sacrifices je n’en pouvais plus. Dans la vie certains choix sont importants. Je n’avais pas envie de sacrifier plus longtemps ma vie personnelle contre des titres et des médailles. Il faut parfois se poser les bonnes questions et se demander ce qui nous rend heureux. Le sport de haut niveau c’est binaire. Si la flamme s’éteint c’est compliqué de durer. Depuis en bon moment j’avais d’autres projets en tête, c’était le bon moment pour arrêter.
Ce qui me manque aujourd’hui c’est l’ambiance et les copains. Ça peut paraître peu, mais pour l’instant ça s’arrête là.
Vous êtes également Chevalier de la Légion d’honneur. Qu’avez-vous ressenti au moment de recevoir cette distinction ?
Sur l’instant, pas grand-chose ! J’ai l’impression que cela représente plus pour les autres que pour moi. Je ne dis pas que je ne suis pas fier, mais j’ai encore du mal à donner du sens à cette médaille qui pour moi reste surtout gage d’acte héroïque pendant la guerre.
Aujourd’hui, dans le monde de l’aviron, quels sont ceux qui vous font forte impression ?
J’ai toujours apprécié le 8+ allemand. Ça rame bien, c’est puissant, c’est la force du collectif. Ce n’est pas pour rien si leur bateau a reçu l’Award du « Best Crew of the Year » l’an dernier. Ils le méritent. Le travail des palettes est vraiment chouette. C’est à montrer en exemple dans les écoles d’aviron.
Que faites-vous à présent comme activité ?
Depuis 2012 j’exerce le métier de kinésithérapeute. Et depuis 2015 je suis aussi ostéopathe. Pendant ma carrière je travaillais. Je faisais environ 30h/semaine. Aujourd’hui, je travaille à plein temps. Je fais 50h/semaine.
Enfin, avez-vous des projets en tête ?
Bien sûr. Je viens de finir l’écriture de mon livre qui sortira fin mai en Librairie (le 29/05) et une semaine plus tôt dans les grandes enseignes (le 22/05 normalement).
Mon prochain projet est de créer un réseau permettant d’aider les jeunes rameurs à trouver des stages pendant leur cursus universitaire. L’idée est de mettre d’anciens rameurs en contact avec eux.
Plus personnellement j’ai le projet de créer une application. Mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant.
Propos recueillis par Alexandre HOMAR