Photo en Une délivrée par l’athlète.
Sacrée Championne du Monde par équipe en 2018, l’escrimeuse française Manon Brunet revient tout au long de cet entretien sur son parcours depuis qu’elle a débuté sa carrière : ses débuts, ses premiers Jeux Olympiques à Rio en 2016, son titre de Championne du Monde en 2018 et les sacrifices que cela représente. Une interview dans laquelle Manon Brunet nous emmène à la découverte de sa spécialité, le sabre et nous parle également de son choix de s’engager au sein de la gendarmerie. Un entretien où elle évoque enfin tout ce qui peut jalonner son quotidien de sportive de haut niveau. Rencontre.
Tout d’abord, à quel âge avez-vous commencé l’escrime ?
J’ai commencé l’escrime à l’âge de huit ans.
Pourquoi vous êtes-vous dirigée vers ce sport ? Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette discipline ?
Je faisais du taekwondo et de la danse et quand on m’a proposé de faire de l’escrime. Et dès que j’ai commencé, je suis un peu tombé amoureuse de ce sport.
Le maître d’armes nous faisait faire beaucoup de jeux à la fin des entraînements. Et c’est comme ça que j’ai bien aimé ce sport.
Dès votre plus jeune âge vous montrez déjà des signes de précocité, comme le Tournoi de Londres que vous remportez en 2012, à 16 ans. Considérez-vous cette victoire comme un palier décisif dans votre ascension vers le haut niveau ?
A cette époque-là, j’avais déjà vécu le Pôle France espoir, donc j’avais déjà l’ambition de faire du haut niveau. Mais c’est sûr que cette victoire m’a aidée dans ce projet.
L’esprit de compétition a-t-il toujours été en vous, où vous l’a-t-on inculqué plus tard ?
Il était là assez vite, par mes parents (rires) .
A partir de quel moment avez-vous compris que vous aviez le niveau pour devenir professionnelle ?
Un peu avant que j’intègre l’INSEP je pense. Quand j’ai commencé à faire des compétions Senior, des Coupe du Monde Senior.
Aujourd’hui au Cercle d’escrime Orléanais, vous étiez avent au sein du club de Rillieux, le club de vos débuts ? Quels souvenirs gardez-vous au sein de votre premier club ?
A Rillieux, c’était vraiment un petit club de famille. Je suis toujours en contact avec eux, je vais encore les voir. C’est vraiment une belle petite famille.
Pourquoi ce choix de quitter le club de Rillieux pour celui du Cercle d’escrime Orléanais ?
Je suis ensuite allée au club d’Orléans parce qu’ils m’ont proposé d’avoir une équipe. Et en intégrant le Pôle France à Orléans, j’ai commencé à avoir de nouveaux entraîneurs et du coup j’ai voulu continuer la lignée à rester avec eux. Et à côté de ça, comme ils me proposaient d’avoir une équipe avec des filles en Championnat de France, cela m’a paru top de faire ça avec des copines.
Cela a dû être une immense déchirure de devoir quitter votre club de cœur, celui de vos débuts. Comment avez-vous vécu cette période ?
Ça n’a pas été facile. C’est pour ça que je vais toujours là-bas et que je prends toujours des nouvelles et que je viens donner des nouvelles. Mais c’était pas facile. Surtout de quitter l’entraîneur qui m’a fait aimer ce sport.
Justement, que vous a apporté votre premier entraîneur ?
Il m’a fait aimer l’escrime, tout simplement. Après, au niveau technique, tactique, il a été bon. Mais surtout, grâce à lui, j’aime l’escrime.
En rejoignant Orléans, vous allez alors participer, devant votre public, à votre première Coupe du Monde. Vous aviez à cœur de briller devant votre public ? Quel souvenir gardez-vous de ce moment ?
C’était une belle revanche, surtout par rapport aux Jeux. Après, le fait que ce soit Orléans c’était top parce qu’il y avait beaucoup de monde, beaucoup de français. Du coup j’avais un gros public derrière moi. Mais c’était surtout la vengeance entre guillemets des Jeux. De se dire : « Bon, la quatrième place ça m’a fait mal mais au final, ce n’était pas un coup de chance ».
Votre spécialité c’est le sabre. Pouvez-vous nous décrire en quoi consiste cette discipline ?
C’est un sport assez rapide, où il faut vite prendre des décisions. C’est assez physique même si on ne se rend pas compte. C’est un mélange de physique, tactique et technique. Et il faut être assez vigilant et prendre vite des décisions pour ne pas être surpris par l’adversaire.
Quels sont vos principales qualités en tant que sabreuse ?
Je pense que c’est le physique. Je pense que tout est plutôt bien maintenant (rires) !
Mais à la base, je pense que ma plus grosse qualité c’est vraiment le physique. Et qu’ensuite la technique et la tactique sont venus se raccrocher à tout ça.
Quels éléments mettez-vous en place pour être la plus décisive possible et accéder à chaque fois à la victoire ?
J’essaie vraiment de réfléchir assez vite. De prendre vite des décisions, de ne pas être surmenée. Mais ça, ça se travaille encore. Mais surtout, tout ce que je fais à l’entraînement, c’est du travail pour la compétition. Et depuis cette année, je travaille sur le mental pour ne pas me laisser malmenée sur des compétitions par mes adversaires. C’est surtout un travail sur soi.
Devenir escrimeuse professionnelle, c’était un objectif pour vous ou vous vous destinez à tout autre chose ?
Pas spécialement, mais comme après j’ai commencé à intégrer le Pole et l’INSEP oui. Ce n’était pas devenu une obligation mais ça me tenait à cœur oui.
L’année dernière, vous êtes devenue championne du monde par équipe. Un titre obtenu avec vos coéquipière Caroline Quéroli, Cécilia Berder et Charlotte Lembach. Comment avez-vous toutes les quatre construites ce sacre ?
Ça faisait quelques années qu’on était ensemble. Après, c’est beaucoup de travail et on a appris à se faire confiance, à travers les défaites et les médailles qu’on avait obtenu auparavant. Et sur cette journée-là, on a vraiment réussi à ase faire confiance les unes les autres et à ne pas lâcher. Et à l’arrivée, ça a marché.
On avait les qualités, mais on n’arrivait pas à les mettre toutes les quatre en même temps. Mais là, au fur et à mesure, on a réussi toutes les quatre à être bonnes au moment où il fallait.
Quel lien entretenez-vous toutes les quatre ?
On s‘entraîne tous les jours ensemble donc on se voit tous les jours. Il y a beaucoup de respect. On est des coéquipières, des adversaires aussi donc il faut savoir faire la différence. Mais on est aussi des sparring-partner les unes pour les autres. Sans chacune de nous, on ne pourrait pas avancer, on le sait. Donc quand on est sur la piste l’une en face de l’autre, on se bagarre. Mais quand on est sur la piste, par équipe, on a l’esprit d’équipe.
A ce moment, quand vous devenez Championne du monde, on se dit que tous les sacrifices qu’on a dû faire, ça y est, ça paye enfin ?
Oui, il y a un peu de ça. Sur le moment on se dit : « Wouah, mais qu’est-ce qui est en train de se passer ? » (Rires) .
C’est juste une explosion de joie et on se dit enfin ! Même si ça ne faisait pas non plus des années qu’on l’attendait. On savait qu’on en était capable et on en a été capable puisque que ce titre, on l’a eu. C’est vraiment énormément de plaisir.
Quels sacrifices justement cela représente-t-il ?
Il y en a beaucoup. C’est de savoir quand est-ce qu’on veut s’amuser, savoir quand est-ce qu’on doit s’entraîner. Savoir ce qu’on est prêt à mettre de côté. C’est de l’organisation en fait. Après, quand on aime ce qu’on fait, c’est moins difficile. Finalement, c’est un peu notre métier et notre métier c’est quand même un plaisir de faire de l’escrime. Parce qu’on préfère être à la salle d’escrime que d’être dans un bureau à travailler, je ne vais pas vous mentir (Rires) .
Donc oui, il y a pas mal de sacrifices, mais il y a pas mal de plaisir aussi. Juste parfois on n’a pas envie de se faire mal ou de mettre la veste, mais finalement on s’y habitue, on y va et on travaille.
Quelles sont les principales difficultés que l’on peut rencontrer en compétition lorsqu’on pratique le sabre ?
Déjà, un peu comme dans tous les sports, de ne pas être bon le jour J et de savoir passer outre et se bagarrer. Ce qui est difficile au sabre, c’est qu’il faut s’adapter à son adversaire mais aussi à son arbitre. Parce que les arbitres sont tous différents. Et n’arbitre pas forcément pareil. Donc il faut savoir comprendre comment l’adversaire joue pour le battre. Et comprendre à quoi l’arbitre est sensible et s’adapter à ça.
Et puis après, savoir faire mal à soi, ne pas lâcher et de se battre quand même, même si on est malmené, même si c’est dur pour essayer d’aller mettre les quinze touches à son adversaire.
En 2016, vous avez disputée vos premiers Jeux Olympiques, à Rio. Tout d’abord, qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez appris que vous disputeriez vos premiers Jeux Olympiques ?
J’étais très contente, j’ai appelé mes parents directement. Je m’y attendais quand même un peu parce que la sélection se fait sur un an. Donc je savais que je faisais partie des filles. Après, quand on le sait officiellement, on est un peu tout excité. On se dit « oh ça y est c’est arrivé ! ».
Il y a quelques années, je n’y pensais pas. On est content mais on se dit vite : « Bon, maintenant il faut travailler pour ne pas aller là-bas pour rien ! » (Rires)
Comment avez-vous vécu ces Jeux de l’intérieur ?
D’abord, quand j’ai vécu la cérémonie d’ouverture, j’ai vraiment compris où j’étais. J’étais assez euphorique, j‘étais assez folle pendant cette cérémonie d’ouverture parce que c’est vraiment immense, énorme. Énormément de bruit, de lumières, de personnes. Et ensuite, le jour J sur la piste, c’était une des plus belles et une des plus dures journées de ma vie. Parce que j’ai vécu une des plus belles compétions de ma vie et en même temps je suis passée à côté d’une médaille.
Faire quatrième c’était beau parce que je ne pensais pas en être capable de faire une demi-finale. Mais faire quatrième, ça fait mal au cœur. C’était très beau mais très dur. Surtout qu’après par équipe on s’est loupé et ça a été encore plus dur à digérer pour nous quatre.
Dans quels domaines avez-vous l’impression de pouvoir encore progresser ?
Un peu tout. Là, je travaille beaucoup sur le mental depuis cette rentrée de septembre. Mais j’ai l’impression que c’est la spécificité de l’escrime, qu’on peut toujours apprendre. Il y a des touches à l’infinie, on peut en inventer, c’est ça qui est beau. On ne cesse jamais d’apprendre.
Dans une carrière de sportive de haut niveau, le mental joue aussi beaucoup. Comment arrivez-vous à gérer votre stress avant le début d’une compétition ?
Je ne sais pas trop encore (Rires) . Non, plus sérieusement, il faut déjà apprendre à l’accepter, savoir que si on fait tout ça, c’est normal qu’il y ait du stress, c’est ce qu’on veut au fond. Il faut juste savoir apprendre à le doser. Et c’est ce que j’essaie d’apprendre en ce moment.
Vous êtes également engagée dans la gendarmerie, pourquoi ce choix ?
En fait je suis avec l’armée des champions. En fait c’est le Ministère qui a créé une armée pour les sportifs de haut niveau où l’armée recrute des sportifs pour les aider dans leur double projet. C’est plus un contrat d’image qu’un vrai travail. Je représente la gendarmerie et eux m’aide à accomplir mon double projet de pouvoir vivre de mon sport et de pouvoir le pratiquer. Ils m’aident en gros à aller gagner les Jeux Olympiques.
Un engagement qui a dû vous permettre d’apprendre beaucoup sur vous et sur vos limites non ?
Oui, c’est vraiment pas mal. En plus, chaque année on a un regroupement donc on rencontre plein de sportifs. Ca permet de se mélanger, de voir les difficultés que peuvent avoir aussi les autres sportifs. Et de rencontrer, pas des stars, mais des sportifs qu’on voit à la télé. C’est pas mal de s’ouvrir. Et en plus, ils essayent de nous faire des activités de militaires. Donc ça nous sort un peu de notre monde sympathique on va dire. Et ça nous fait un peu travailler sur d’autres aspect de notre vie. Mais c’est assez court, donc on n’est pas trop bousculé non plus (Rires) !
Cela vous aide dans votre quotidien de sportive de haut niveau ?
Ah oui, franchement ça aide beaucoup. On s’ouvre, on apprend des choses sur nous, sur les autres, du coup c’est de la culture pour nous. C’est vraiment top !
Aujourd’hui, y a-t-il un sportif ou une sportive qui vous sert de modèle, d’exemple ?
Il y en a plein. Mais j’en vois une souvent à l’INSEP et qui ne fait que gagner c’est Clarisse Agbegnenou. Et dès que je la vois avec les militaires, elle a toujours le sourire. Elle travaille, elle n’abandonne pas et tu dis qu’il n’y a que ça qui marche. Quand je regarde ses vidéos elle est toujours en train de se donner à fond et c’est ce qu’il faut faire donc c’est un bel exemple.
Enfin, quels sont vos prochains objectifs ?
Là j’ai les championnats d’Europe et du Monde qui arrivent bientôt.
Donc d’être médaillée individuellement et par équipe. Et pourquoi par l’or, on ne va pas se mentir ( Rires) .
Propos recueillis par Alexandre HOMAR.