Rencontre avec Esther Turpin : « On porte le maillot de l’Équipe de France, ça rend la chose encore plus importante. »

Sacrée Championne de France d’heptathlon et de pentathlon en 2018, la spécialiste des épreuves combinées Esther Turpin nous emmène tout au long de cet entretien à la découverte de son sport et de ces deux disciplines. L’occasion pour elle de revenir aussi sur ses débuts, ses deux titres en 2012 et 2013 aux championnats de France en catégorie cadette, son premier championnat d’Europe ou encore ses deux titres de championne de France il y a deux ans. Et sa fierté de porter haut les couleurs de la France. Un entretien enfin où elle nous explique comment elle fait pour concilier sport et confinement. Rencontre.

Tout d’abord, à quel âge avez-vous commencé l’athlétisme ?

J’ai commencé l’athlétisme vers l’âge de sept ou huit ans.

Pourquoi vous êtes-vous dirigée vers ce sport ? Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette discipline ?

C’est grâce à mes frères et sœurs. On a un grand écart entre mes frères et comme ils faisaient de l’athlétisme, on a continué ensuite avec eux.

Vous souvenez-vous du club de vos débuts ? Quels souvenirs en gardez-vous ?

Oui, je m’en souviens très bien ! C’était dans ma ville de naissance. J’étais au club de l’AC Saint-Joseph à la Réunion. C’étaient de très bons moments. A ce moment-là, c’étaient les retrouvailles avec les camarades, on s’amusait beaucoup. On avait vraiment tous hâte de se retrouver là-bas.

Pour vous, la course à pied était synonyme d’évasion ?

Oh oui, carrément ! Surtout d’où je suis originaire, c’est un bon moyen de s’évader, ça c’est clair.

A partir de quel moment avez-vous compris que vous aviez le niveau pour devenir professionnelle ?

A mes premiers résultats de Championnat de France. Mes premiers Championnats de France, je les gagne. C’était vraiment inattendu parce que je venais tout juste de débarquer. Je crois que j’étais huitième au bilan et puis je bats tous mes records ! Le premier championnat de France se passe bien. Le deuxième aussi. Donc on se dit qu’il y a peut-être quelque chose à faire…

Que vous procure la course à pied ? Par quelles sensations êtes-vous traversée au cours de vos différentes sorties d’entraînement ?

On traverse beaucoup d’émotions ! (Rires).

Au début, on est bien. Et puis après en fonction des séances, il y a beaucoup de souffrances aussi, on va au bout de soi-même. On essaye de dépasser ses limites et à la fin on est très content. Je suis souvent euphorique après, un peu dans un état second.

L’esprit de compétition a-t-il toujours été en vous, où vous l’a-t-on inculqué plus tard ?

L‘esprit de compétition, c’est quelque chose que j’ai dû apprendre. On m’a appris à être un peu plus une guerrière. C’est quelque chose qui se travaille, ça se passe dès l’entraînement. Il faut toujours tout donner. Et être à fond. Toujours essayer de s’améliorer. Même si on fait un exercice et que le chrono est bien, on va essayer encore de faire mieux tout le temps tout le temps. Et ne pas rester sur des acquis.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste l’heptathlon ?

L’heptathlon, c’est sept épreuves de l’athlétisme en deux jours. L’ordre est toujours le même. On commence par le 100 mètres haies. Ensuite on a le saut en hauteur, le lancer de poids, le 200m. Et le lendemain on a le saut en longueur, le lancer de javelot et le 800 mètres.

 

Et quelles sont les exigences de cette discipline ?

Il faut savoir tout faire ! (Rires)

Il faut être assez complet. Parce qu’on fait un peu de tout : à la fois du sprint, des sauts, des lancers. Il faut aussi savoir apprendre vite. Parce qu’on a moins de temps que les autres athlètes qui sont des spécialistes de sprint par exemple. Pour pouvoir apprendre, on a tellement de disciplines à travailler qu’on a besoin d’aller assez vite dans l’entraînement. On ne peut pas passer autant de temps que des spécialistes passeraient sur leurs disciplines.

Il faut être vif d’esprit, être à l’aise avec son corps, être bien coordonnée.

Vous pratiquez également le pentathlon. En quoi consiste cette discipline ?

Alors l’heptathlon, c’est l’été. Et le pentathlon se déroule lui l’hiver.

Ça se déroule toujours dans ce même ordre : le 60 mètres haies, le saut en hauteur, le lancer de poids, le saut en longueur et le 800 mètres.

Sur laquelle de ces deux disciplines jugez-vous être la plus à l’aise ?

L’heptathlon ! L’été c’est plus mon truc ! (Rires)

Ces disciplines consistent à évoluer et performer dans plusieurs domaines comme vous nous l’avez expliqué. C’est ce qu’on appelle des épreuves combinées. Comment expliquez-vous votre polyvalence ?

Comment j’explique ma polyvalence ? Bon, déjà depuis que je suis toute petite, je fais beaucoup de sport. Je pense que ça m’a beaucoup aidée. Avec mon frère on faisait de la natation, du vélo. Et puis nos parents nous ont fait découvrir un peu de tout. Donc je pense que ça m’a bien aidé à me développer et à développer mes capacités. Pour moi, c’est dès qu’on est petit qu’on développe un peu tout ça. Et ce qui nous permet ensuite d’avoir des facilités plus tard.

Justement, comment on arrive à passer d’une discipline à l’autre ?

En général, pendant un entraînement, on essaye de pratiquer une à deux voire trois disciplines. Par exemple, le lundi on va arriver et l’on va faire des haies, de la hauteur et puis à la fin peut-être un peu de musculation. Chaque jour on travaille plusieurs disciplines pour qu’à la fin de la semaine on ait tout travaillé.

Dans quels domaines avez-vous l’impression de pouvoir encore progresser ?

Un peu partout ! (Rires)

Je pense que j’ai encore une marge de progression un peu partout. Je pense notamment au 200 mètres où j’ai une grande marge de progression. Le poids aussi j’ai une bonne marge de progression.

En 2012 vous devenez championne de France cadette en heptathlon. En 2013, vous renouvelez l’exploit. C’était important pour vous de marquer les esprits dès les plus jeunes catégories d’âge ?  Vous aviez à cœur de vous démarquer très vite des autres ?

Je pense que je ne m’en rendais pas compte. Mais dès que je me rendais à des compétitions importantes, comme les Championnats de France, c’est sûr que j’ai donné le meilleur de moi-même. La première fois, je pense que ça s’est fait tout seul. Et puis pour la deuxième fois, oui, je voulais absolument gagner parce que j’avais déjà gagné la fois d’avant. Donc oui, à chaque fois, je voulais vraiment faire quelque chose de bien.

Justement, remettre à nouveau son titre en jeu, ça ne doit pas être facile. Comment on arrive à gérer la pression ?

Oh moi je ne suis pas une fille stressée ! (Rires)

Bien-sûr, on sait qu’on est attendue, mais je sais aussi que j’ai les capacités et les moyens de gagner ! Donc je ne me mets pas de pression là-dessus.

Tout ce que je dois faire, c’est faire le job et mettre en place ce que l’on a travaillé et les résultats suivront.

Quelles sont les principales difficultés que l’on peut rencontrer lors d’un heptathlon et d’un pentathlon ?

Ça peut d’abord passer par une mauvaise météo. C’est sûr que là, ça rend la chose beaucoup plus compliquée parce que les épreuves vont quand même s’enchaîner. C’est très très rare qu’on annule ou qu’on décale des épreuves pour des mauvaises conditions météo.

Quand il fait parfois très froid, à l’échauffement il faut à chaque fois bien se réchauffer pour toutes les épreuves. Et ça c’est assez fatiguant. Il faut être très vigilant pour ne pas se blesser. Ça prend beaucoup plus de temps, beaucoup plus d’énergie alors qu’on a déjà deux jours à gérer, donc là ça fait encore une autre chose à s’occuper.

Et ce qui est compliqué, le plus difficile, je pense que c’est lorsqu’on se foire complétement sur une épreuve. Ça m’est déjà arrivée de faire un zéro sur une épreuve. Et il faut quand même finir et aller jusqu’au bout. Mais on sait que le résultat ne sera pas là parce qu’on a fait un zéro dans une épreuve.

Justement, comment arrive-t-on à se remobiliser pour repartir de l’avant et revenir plus fort après un échec ?

Ça c’est très compliqué, on apprend. (Rires)

Les premières fois, c’était très dur pour moi. La seule chose dont on a envie, c’est d’abandonner et de ne pas continuer la compétition parce qu’on sait que ça ne sert à rien.

Mais on a des entraîneurs qui nous apprennent à aller jusqu’au bout, ce n’est pas dans la mentalité de la discipline d’abandonner.

Nous on a une discipline assez particulière, avec une bonne mentalité, une bonne ambiance. On a donc à la fois les autres athlètes qui nous encouragent à continuer, notre coach qui nous dit de continuer, et puis on travaille aussi pour les autres compétitions à venir. C’est ça qui est important.

Comment, au fur et à mesure des années, arrivent-on à se renouveler psychologiquement et mentalement ?

Plus on avance dans le temps, plus les échéances et les compétitions montent de grade. Donc on a intérêt à être de plus en plus fort.

Ce sont des objectifs de plus en plus hauts que je vois arriver maintenant. Du coup, la motivation est toujours là. Et à l’entraînement ce n’est jamais la même chose. Il y a toujours des choses à travailler. Ce n’est jamais monotone.

En 2018, vous devenez championne de France de pentathlon et d’heptathlon. Comment avez-vous construit ces deux victoires ?

Là, c’était la meilleure de toutes mes années ! (Rires)

On avait bien bossé. Et puis mentalement, je me sentais vraiment très bien. On sait que le mentale a une part très importante dans le sport et encore plus je pense quand on fait des combinés. Cette année-là, j’étais dans un bon « mood » on va dire, et c’est ce qui a fait vraiment la différence.

Vous allez cette même année disputer les championnats d’Europe de Berlin. Tout d’abord, qu’est-ce que vous avez pu constater comme différence entre disputer un championnat de France et un Championnat d’Europe ?

Là, on est dans un autre monde ! (Rires)

Déjà on représente le pays. On porte le maillot de l’Équipe de France, ça rend la chose encore plus importante. Et surtout on concourt contre les meilleures européennes. A Berlin, le public était vraiment au rendez-vous, il y avait énormément de monde. On est vraiment attendue. Là c’est vraiment une grande compétition.

Justement, qu’est-ce que ça représente pour vous de porter les couleurs de l’Équipe de France lors d’un championnat d’Europe ?

Ça donne de la force ! (Rires)

On est fier d’être là, à cette compétition, et on a l’opportunité de se sublimer j’ai envie de dire. Et ce n’est pas quelque chose qui nous arrivera tous les jours. Donc il faut vraiment être dans l’instant présent et de ne pas être spectatrice de ce qui nous arrive.

Quels souvenirs gardez-vous de ces premiers Championnats d’Europe pour vous ?

Mon plus gros souvenir, c’est vraiment mon record au saut en hauteur. En fait je bats deux fois mon record à la hauteur. Et là, c’était vraiment quelque chose d’un peu inattendu. C’était vraiment une belle surprise !

Depuis janvier, vous avez intégré l’INSEP. Quel cadre avez-vous découvert en intégrant cette structure ?

La première fois où je suis entré à l’INSEP, je regardais partout !

C’est grand, c’est une grande structure. C’est quelque chose que je n’avais jamais vu ! J’étais vraiment très impressionnée.

Que vous apporte l’INSEP sur le plan personnel ?

L’INSEP, c’est vraiment un endroit qui me facilite la vie parce qu’il y a tout. Il y a tous les soins. C’est vraiment un petit village. Tout est à notre disposition pour performer.

Et sur le plan sportif ?

Sur le plan sportif, ça se passe bien. Avec mon nouveau coach ça se passe bien et avec le groupe aussi. Là j’ai terminé 3eme aux Championnats de France.

Ce qui est bien c’est que là-bas on est entouré que de sportifs qui visent le haut niveau donc on est vraiment dans une bonne ambiance. On ne peut qu’être tiré vers le haut.

Aujourd’hui, le Covid-19 frappe de plein fouet le monde entier. Ce qui nécessite un confinement de la population et l’arrêt de toutes les compétitions sportives notamment. Comment vous entretenez-vous physiquement pour garder un minimum de rythme ?

On fait comme on peut ! (Rires)

On est en permanence en communication avec notre coach. Il se casse un peu la tête pour nous trouver un moyen de faire de la musculation par exemple avec le matériel qu’on a chacun à notre disposition.

Et puis ma rue là par exemple est vraiment devenue ma nouvelle piste. Je fais mes gammes là-bas. Mais je sors vraiment très rarement autour de là où j’habite pour courir et faire de l’aérobie par exemple. Ça reste très rare. La plus grosse partie se fait à la maison.

C’est une situation tout à fait inédite pour vous les athlètes. Y a-t-il une crainte de perdre en compétitivité à la sortie du confinement ?

Oui, quand même. Parce que là, la préparation ne peut pas se dérouler comme elle devrait l’être habituellement. Le coach, on ne l’a pas avec nous. On n’a pas de groupe, on n’a pas de matériels. C’est vraiment très compliqué déjà physiquement de se préparer.

Mais on espère qu’on pourra avoir plus de temps pour se préparer pour les échéances de cet été, s’il y en a…

Quels conseils donneriez-vous aux gens qui souhaiteriez faire du sport chez eux ? Quels exercices faciles à faire conseilleriez-vous ?

Il y en a pleins ! Il faut être un peu créatif ! (Rires)

Par exemple on a tous des packs d’eau, des livres, ça peut faire du poids. Et avec on peut faire des squattes.

Il faut dériver un peu les utilisations du matériel habituel et faire pleins d’exercices avec.

Propos recueillis par Alexandre HOMAR.

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