Photo en Une délivrée par l’athlète.
Triple championne du monde des moins de 20 ans et vice-championne d’Europe par équipe juniors, l’escrimeuse française Aliya Luty revient tout au long de cet entretien sur son parcours depuis qu’elle a débuté sa carrière : ses débuts, ses trois titres de championne du monde, l’apport de son coach sur ses performances ou encore son regard émouvant sur l’INSEP où elle y démarre sa troisième année. Une interview dans laquelle elle nous emmène à la découverte de sa spécialité, l’épée. Et nous parle de ses rêves et notamment un bien présent, le plus grand, celui de participer aux Jeux Olympiques de 2024 à Paris, sa ville préférée. Rencontre.
Tout d’abord, à quel âge avez-vous commencé l’escrime ?
J’ai commencé l’escrime à l’âge de sept ans.
Pourquoi vous êtes-vous dirigée vers ce sport ? Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette discipline ?
Je suis de Grenoble, je suis née là-bas. Et en fait, en bas de chez moi, il y avait, comme tous les étés, plusieurs clubs qui mettent des petits stands pour présenter leur sport pour la rentrée. J’avais essayé plusieurs sports car j’adore le sport depuis que je suis petite. J’ai toujours fait du sport depuis que j’ai trois ans (Rires).
Donc j’avais essayé l’escrime. Et je me suis retournée et j’ai dit à ma maman : « Je veux faire ça ! Je veux faire ça ! ». Je me suis donc inscrite au club et là-bas il n’y avait que de l’épée. C’est donc comme ça que j’ai fait de l’épée.
L’esprit de compétition a-t-il toujours été en vous, où vous l’a-t-on inculqué plus tard ?
Ah oui, toujours ! Au début j’avais du mal à gérer parce que je détestais perdre. Avec le temps maintenant ça va mieux (Rires). Même pour les jeux de sociétés c’était comme ça. Je pense que je suis née et on a dit : « Elle, elle n’aimera pas perdre » (Rires).
Mais maintenant, avec l’expérience, l’âge, j’ai appris à gérer la défaite, à apprendre de mes défaites. Mais au début j’étais vraiment têtue (Rires).
A partir de quel moment avez-vous compris que vous aviez le niveau pour atteindre le haut niveau ?
En fait, j’ai été tout de suite forte à l’escrime. Je m’entraînais déjà avec les garçons. J’étais aussi surclassée. Et toutes les compétitions que je faisais, dès le début en département ou les compétitions de régions, je faisais tout le temps podium. Après j’ai été sélectionnée petit à petit aux France. J’ai gagné les France quand j’étais toute petite en minime. Et petit à petit, grâce à ça, j’ai été sélectionnée aux coupes du monde cadets (moins de 17 ans). J’ai toujours été sélectionnée aux coupes du monde depuis que je suis cadette. Et au fur et à mesure après j’ai fait des résultats. Je suis partie de chez moi à quinze ans. Au moment où je suis partie de chez moi à quinze ans je me suis dit que je ne partais pas pour rien. Je me suis dit que si je pars, c’est vraiment pour faire du haut niveau.
Cela fait maintenant trois ans que vous vous entraînez à l’INSEP. Quel regard portez-vous sur cette structure assez impressionnante ?
Alors déjà, mes parents se sont rencontrés à l’INSEP. Ma mère faisait du badminton et mon père de la boxe. Quand il m’en parlait à l’époque, c’était vraiment l’endroit où il y a les meilleurs sportifs. Et moi j’ai dit que je voulais y aller aussi quand je serai grande (Rires). Et quand j’y suis entré pour ma première année, quand ma mère m’a déposée, ça lui a fait tout bizarre parce qu’elle y était elle aussi, vingt ans en arrière. Ça nous a fait bizarre. Et ça reste toujours un plaisir de s’entraîner ici.
Vous nourrissez-vous également des cadres des escrimeuses de l’Equipe de France et de leurs expériences du haut niveau ?
Oui bien-sûr ! Surtout aussi beaucoup nos entraîneurs qui eux ont une grande carrière. Ils ont aussi été à l’INSEP et j’aime beaucoup leur poser des questions. Comment c’était avant, leurs parcours, comment ils étaient aux Jeux. Donc oui bien-sûr que je me nourris de tout ça.
Votre spécialité c’est l’épée. Pouvez-vous nous décrire en quoi consiste cette discipline ?
L’épée c’est la seule arme où il n’y a pas de conventions. Ce n’est pas le premier qui attaque qui a le point. N’importe qui peut attaquer quand il veut. Les deux lumières s’allument, c’est pour les deux. Une lumière, c’est pour celui qui a sa lumière d’allumée. C’est vraiment l’arme la plus facile à comprendre. Pour vous dire, même moi il y a peut-être deux, trois ans, je ne comprenais toujours pas le fleuret ou le sabre (Rires).
Quels sont vos principales qualités en tant qu’épéiste ?
Je dirai que je suis une vraie combattante sur la piste. Je ne lâche pas. J’attaque bien, je suis attaquante. J’attaque mieux que je défends. Et je pense que j’ai un bon physique et un bon mental.
Vous êtes triple championne du monde des moins de 20 ans. Par deux fois en 2016/2017 par équipe et en individuelle à Plovdiv. Puis vous récidivez en 2019, par équipe à Torun. Considérez-vous ces victoires comme un palier décisif dans votre ascension vers le haut niveau ?
Alors déjà, je ne vais pas vous mentir, je ne m’attendais pas du tout à faire double championne du monde en junior première année ! Quand je commence ma première année junior et que je fais double championne du monde, ça m’a vraiment lancée. Et souvent, c’est dur de continuer sur une bonne lancée. J’ai fait aussi 3eme aux Europe en 2018 en individuelle. Donc j’ai continué sur ma lancée. C’étaient mes objectifs de l’année, mais mon plus grand objectif, ça reste les Jeux Olympiques.
Bien-sûr que c’est une fierté, je suis très contente de l’être, c’est quelque chose ne plus sur mon palmarès, mais ça ne reste pas mon objectif principal de pourquoi je fais du sport de haut niveau.
En 2019, vous êtes devenue championne du monde par équipe avec vos coéquipières Emma Lauvray, Léa Varéla et Eloïse Vanryssel. Comment avez-vous toutes les quatre construites ce sacre ?
Alors déjà, à la base, on n’était mais pas du tout favorites (Rires) ! Mais vraiment pas, c’étaient les russes, les italiennes. Elles étaient au-dessus de nous.
On avait une équipe de jeunes. Et on s’est battues, mais jusque bout ! On n’a rien lâché. C’était dur tous les matchs. En finale, on prend la Russie, l’équipe qui a gagné tout au long de l’année. Et moi j’étais un peu celle qui boostait l’équipe parce que j’avais plus d’expérience. Et quand on a gagné, c’était grandiose. Et ce qui a fait qu’on a gagné cette médaille, c’est que l’on est restée unies. On n’a pas lâché nous quatre. C’était vraiment notre victoire à nous. Et on était vraiment trop fières de nous. Et j’étais très fière d’elles.
Quel lien entretenez-vous toutes les quatre ?
Il y a Héloïse qui nous a rejoint à l’INSEP cette année. Donc ça reste ma coéquipière à l’INSEP. Après, il y a Emma qui est à Grenoble avec moi en club. Et Emma, c’est vraiment une très très bonne amie à moi, je suis très très proche d’elle. C’est comme ma petite sœur Emma.
Et il y a Léa, qui est au Pôle de Bordeaux. Avant de rejoindre l’INSEP j’ai passé trois ans aussi au Pôle de Bordeaux.
Quelles sont les principales difficultés que l’on peut rencontrer en compétition lorsqu’on pratique l’épée ?
Déjà, il y a beaucoup de stress parce que la veille il y a tout ce qui est les armes et notamment le checking des armes qui met un peu de stress. Après il y a le lendemain quand on voit tout le monde s’échauffer. Donc moi je dirai que c’est plutôt le stress. Mais après, quand je me branche et que je fais mon premier match, ma première touche, il y a tout le stress qui redescend. Mais c’est vraiment du bon stress.
Vous êtes également Vice-championne d’Europe par équipe junior, vous avez aussi terminé 2eme de la coupe du monde par équipe des moins de 20 ans à Dijon. Votre parcours jusqu’ici et la trajectoire que prend votre carrière à votre si jeune âge est incroyable. Tout cela participe au fait que vous êtes considérée comme une prodige de votre discipline. Qu’est-ce que cela vous fait ? C’est une grande motivation pour la suite ?
Ah oui bien-sûr ! Déjà en fait je suis née dans une famille de sportifs, donc je devais faire du sport (Rires) !
Ça m’a en effet beaucoup motivé de savoir que je pouvais le faire. Il ne faut pas que ça s’arrête là, ce n’est que le début car je n’ai que vingt ans. Et avoir déjà fait toutes ces médailles à vingt ans, c’est que je peux aller plus loin. Et j’espère vraiment réaliser mon rêve.
Dans quels domaines avez-vous l’impression de pouvoir encore progresser ?
Je pense que mentalement je peux encore progresser. Parce que j’aime vraiment beaucoup attaquer et du coup je fais un peu que ça et des fois en match il ne faut pas attaquer et… Aliya attaque (Rires).
Après c’est normal, je n’ai que vingt ans, c’est encore jeune dans ma tête. La moyenne d’âge en Coupe du Monde c’est vingt-sept, vingt-huit ans. Et les meilleures, elles font les meilleurs résultats quand elles ont trente ans. Donc je me dis que j’ai encore le temps d’apprendre.
Dans une carrière de sportive de haut niveau, le mental joue aussi beaucoup. Comment arrivez-vous à gérer votre stress avant le début d’une compétition ?
Alors j’essaie de vraiment me vider la tête, de penser à mes matchs, penser à mon jeu, comment je vais me mettre quand je vais être en garde. Je mets ma musique. Je m’chauffe dans mon coin. J’essaie de rigoler un peu avec mes copines histoire de vraiment me détendre. J’arrive assez bien à gérer mon stress.
Que vous apporte votre entraîneur sur le plan personnel et sportif ?
Mon entraîneur c’est Jean-François Di Martino. J’étais pendant trois ans au CREPS France à Bordeaux. C’est lui qui m’a recrutée. Et au moment où je suis partie à l’INSEP à Paris, il est venu aussi à Paris. Donc ça a toujours été mon entraîneur. Je me confie à lui mais ce n’est pas que sport sport sport. Quand j’ai un problème je vais lui en parler.
Si j’ai besoin de soutien, c’est lui que je vais voir. On se comprend vraiment. On a vraiment un très bon lien. Il m’apporte vraiment beaucoup parce qu’en fait le plus important c’est que j’ai confiance en lui. Sur la piste il me dit Aliya ça ce n’est pas bon ou ça il faut le faire, je dois avoir confiance en lui. Et même si moi dans ma tête je me dis que ce n’est pas ça, je vais quand même le faire et je vais l’écouter. Je crois que c’est vraiment le plus important d’avoir confiance en son entraîneur.
Aujourd’hui, le Covid-19 frappe de plein fouet le monde entier. Comment cela influe sur vos entraînements d’abord ? Qu’est-ce qui a changé par rapport à avant ?
Alors déjà moi je suis en étude d’infirmière. Donc on peut m’appeler si on a besoin d’aide. Je m’entraîne deux fois plus parce que je profite qu’il n’y ait pas de compétitions pour m’entraîner au maximum. Et être prête quand la saison va reprendre.
Mais oui c’est vrai que ça change parce que j’aime bien avoir un objectif dans la tête en me disant écoute Aliya dans une semaine, dans un mois tu as telle compétition, il faut que tu te prépares. Sauf que là on ne sait pas vraiment à quoi se préparer. Mais par contre ça ne change vraiment rien pour la motivation. Elle est toujours là, dans ma tête j’ai mes objectifs et je vais tout faire pour y arriver.
Mais de ne pas savoir quand sera la prochaine compétition oui c’est dur parce que moi ayant un esprit très compétitif ce n’est pas évident (Rires).
Étudiante infirmière, comment arrivez-vous à lier sport et études ?
Le sport prend une très grande partie de ma vie. Mes études aussi. J’essaie de lier les deux. Ce sont deux mondes différents et j’essaie d’être performante dans les deux au maximum parce que pour moi, les études c’est très important. Quand je pense études, je ne pense plus sport. Et quand je pense sport, je ne pense plus études (Rires).
Quel message souhaitez-vous faire passer aux personnes au vu de l’évolution de la situation sanitaire dans notre pays ?
Vraiment de porter le masque, le plus possible qu’il soit.
C’est une situation tout à fait inédite pour vous les athlètes. Y a-t-il une crainte de perdre en compétitivité après un long arrêt de la pratique de votre discipline ?
Je ne sais pas, c’est la première fois de ma vie, comme pour tout le monde je pense, que cette situation se passe. Je n’en ai aucune idée. Mais me connaissant je ne pense pas, mais je ne sais vraiment pas. On verra bien…
Enfin, vos prochains grands objectifs ce sont les JO 2021 et 2024 ? Comment arrive-t-on à se préparer à une échéance aussi lointaine dans le contexte actuel ?
Oui tout à fait. On se prépare le plus possible. En tout cas pour 2021 on n’a pas encore vraiment d’infos. Parce qu’on devait avoir des Coupes du monde en janvier pour les qualifications et elles sont censées être à Cuba donc je ne sais pas si on va pouvoir partir à Cuba en janvier avec ce qu’il se passe… Mais imaginons que les JO 2021 ne se déroulent pas, je me prépare à 2024 dans tous les cas. Et je ne lâcherai rien.
Oui, parce que représenter la France à Paris, c’est votre plus grand rêve ?
Ohlalalala, ah c’est mon plus grand rêve ! Mais vraiment ! En plus au Grand Palais ça serait vraiment incroyable ! Et j’adore Paris, c’est ma ville préférée.
Propos recueillis par Alexandre HOMAR.