Rencontre avec Laura Marino : « Ce que j’aime dans ce sport, c’est cette sensation de voler. »

Photo en Une d’Alex Voyer, délivrée par l’athlète.

Après avoir pratiqué le plongeon de haut vol à haut niveau durant de longues années, Laura Marino se consacre aujourd’hui pleinement à la pratique de sa nouvelle activité : le Cliff Diving. Ou quand l’esthétisme se mêle à l’extrême.  Tout du long de cet entretien, Laura Marino, championne du monde par équipe en 2017 avec son partenaire Matthieu Rosset en plongeon de haut vol, nous amène à la découverte de sa nouvelle activité. L’occasion pour cette sportive de l’extrême de revenir sur son nouveau record réalisé il y a quelques jours à Malte avec un plongeon haut de vingt-deux mètres. Un saut et une vidéo qui ont vite pris des airs de buzz sur les réseaux sociaux où près de trois millions de personnes ont déjà visionné son exploit rien que sur sa seule page Instagram. Et plus on avance dans cet entretien, plus on se dit que le Cliff Diving vient de trouver, en Laura Marino, une formidable représentante. Rencontre.

Tout d’abord, à quel âge avez-vous commencé le plongeon ?

J’ai commencé le plongeon assez tard, je devais avoir environ quatorze ans.  Mais il faut savoir qu’avant, j’ai également fait de la gym de manière assez intensive. Et j’ai réussi à réaliser la transition entre la gym et le plongeon.  Il y a beaucoup de plongeurs qui viennent de la gym, faute de structures en France. Il vaut mieux passer par la gym pour faire du plongeon à haut niveau. Mais encore faut-il réussir la transition. 

Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette discipline ?

En fait, à ce moment-là, lorsque j’arrête la gym, j’en ai marre du sport en lui-même. Environnementalement parlant, tout changeait dans mon groupe de gym. Tous ces changements environnementaux faisaient que j’avais beaucoup moins de plaisir à apprendre lors de l’entraînement. Et ça se ressentait dans mes sensations, dans ma gym. J’avais un peu l’impression d’avoir fait le tour. L’impression de ne plus arriver à progresser, de plafonner dans ma progression. 

C’est comme ça que j’en suis venue à essayer le plongeon, et j’ai trop « kiffé », ça a été un coup de foudre ! (Rires) 

Je cherchais un sport acrobatique. J’ai fait un essai et j’ai adoré. Notamment cette sensation de chute libre qui est nettement plus longue, plus nette et plus prononcée qu’en gym. Le fait d’être maître de son corps dans l’espace également. J’ai été addicte je pense dès mon premier saut. 

Pour ceux qui ne connaissent pas, tu as pratiqué le plongeon en haut vol. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre discipline ?

Quand on parle de haut vol, c’est par opposition au tremplin de trois mètres. Il y a plusieurs hauteurs Olympique. Il y a le trois mètres qui est un tremplin, qui rebondit. Et le dix mètres, qui est une plateforme rigide. Et moi, je me suis orientée assez rapidement vers le dix mètres dès que je suis arrivée à l’INSEP. Il y a très peu de piscines avec des dix mètres en France. Mais en l’occurrence, il y en a une à Montreuil, près de Paris. Et je pense que ce sont pour des critères physiques et morphologiques que mon entraîneur à l’INSEP m’a dit que j’allais faire du 10 mètres.

Voilà comment je suis arrivée au dix mètres. Et finalement, on peut dire qu’il a eu l’œil puisque j’ai fait quand même de super résultats et bien plus que ce que j’espérais ou ce que j’envisageais quand je suis arrivée sur cette discipline.

A partir de quel moment avez-vous compris que vous allez pouvoir atteindre le haut niveau ?

Je pense que c’est à partir du moment où j’ai intégré l’Insep. Et où j’ai commencé à faire des compétitions internationales Junior. Mais à vrai dire, je ne me suis jamais vraiment posé la question. Je pense que ça a été concret dans ma tête quand j’ai fait mes premières compétitions internationales Juniors. Puis lorsque que j’ai fait une première médaille aux championnats d’Europe et que j’ai participé ensuite aux Championnats du monde directe.

Parce qu’au Championnat du monde derrière, j’ai fait finale. A ce moment-là je me suis dit « Ah ouais quand même, j’ai fait ça ! On n’est pas là juste pour rigoler ! » (Rires).

Photo d’Alex Voyer, délivrée par l’athlète.

Avant d’aborder les grandes dates de votre carrière, revenons sur cet incroyable exploit que vous avez réalisé il y a quelques jours à Malte. Là-bas, vous avez battu votre record personnel en réalisant un plongeon à 22 mètres du haut d’une falaise. La vidéo, postée sur votre compte Instagram, est à couper le souffle. Tout d’abord, comment avez-vous préparé ce saut ? J’imagine qu’on ne se lance pas comme ça du jour au lendemain sans s’informer sur le lieu, la profondeur de l’eau en bas, le relief et tant d’autres paramètre qui entrent en jeu à ce moment-là ? 

J’ai eu la chance de rejoindre un groupe de « free styler » et de « Cliff diver ». Il y a plusieurs appellations parce qu’il y a plusieurs types de profils, ce n’est jamais très défini (Rires). Cette année, j’ai rejoint ce groupe au début de l’été. Eux ont l’habitude depuis longtemps, d’aller à Malte chaque année. C’est un pays qui se prête énormément à tout ça car il y a de super falaises pour exercer cette discipline. Il faut savoir que pour nous, il est nécessaire d’avoir une falaise à peu près plate et lisse au départ pour pouvoir avoir un départ assez stable. Une falaise d’aplomb également, c’est à dire qui est assez verticale ou voir même en avancée sur la mer. Et puis surtout, il nous faut une bonne profondeur en dessous. Pour être tranquille, une bonne profondeur c’est environ cinq mètres. Et il se trouve qu’à Malte, il y a plein d’endroits qui ont ce profil. De plus, le groupe avec qui j’étais, connaissait bien le spot. Donc on n’a pas trop perdu de temps à aller chercher, à aller sonder etc…

Après, on regarde toujours avant de faire le saut. Moi, je sais que je regarde toujours avant, même si mes amis me disent que c’est bon, qu’il y a la bonne profondeur etc… Je fais en sorte d’aller regarder par moi-même pour mieux appréhender l‘environnement et la profondeur. C’est très important d’aller regarder soi-même. 

Ensuite, on mesure toujours quand c’est un nouveau spot. Cela nous permet de savoir le temps qu’on va passer dans l’espace. Et comment doser nos figures. 

Comme j’avais mal au dos, les semaines d’avant je n’étais pas hyper à l’aise. Parce que c’est comme tout sport, quand on ne pratique pas pendant une, deux ou trois semaines, on perd assez vite. De ce fait, je suis vraiment montée progressivement sur la semaine. Ce n’était pas du tout un objectif que j’avais de battre mon record de hauteur, au contraire. J’étais déjà contente de pouvoir plonger cette semaine-là. Et en fait, lors de notre dernier jour à Malte, il y avait des gars du groupe qui avaient des très gros objectifs sur des sauts à trente mètres sur ce même spot. C’est un endroit où on peut plonger de trente mètres également.

Donc on y est tous allés en équipe pour les accompagner. Et il y avait ce saut à 22 mètres pour ceux qui s’échauffent.

A la base, je n’avais pas du tout envisagé de le faire. Mais lorsque je me suis mise au bord et que j’ai regardé le spot, je l’ai trouvé tellement incroyable ! Je pense que c’est un des plus beaux spots dans lequel je n’ai jamais plongé. Je me suis sentie appelée et je me suis dit que j’avais trop envie de le faire. 

Donc avant de plonger, je me suis quand même questionnée. Parce que, comme je viens de le dire, je n’étais pas là pour le faire. Je me suis dit que là, il va falloir que je le fasse direct ce plongeon, parce qu’il n’y avait pas de hauteur inférieure ! Et normalement, je fais des hauteurs inférieures pour m’échauffer avant… Je me suis vraiment posée la question, de savoir quel était le pourcentage de chance pour que l’impact me fasse assez mal. Parce que je sais que pour le plongeon en lui-même, il n’y a pas de risques. Je sais que je suis capable de le faire, je suis capable de le doser, j’avais fait un vingt mètres la veille ou des seize mètres, je savais que j’étais capable.

Pour moi, la question était surtout de savoir s’il y avait une grande chance pour que l’impact me fasse quand même assez mal. Et ça n’a pas loupé, l’impact m’a fait très mal. Physiquement, le choc en lui-même, ne m’a pas blessé mais je pense que c’était un peu tôt dans le cadre de ma préparation de sauter de cette hauteur-là.

Mais je ne regrette pas du tout et c’était un risque mesuré. C’est juste que je l’ai senti un peu violement l’impact. 

Je pense que c’est vraiment l’énergie du groupe et l’ambiance qu’il y avait, le dépassement de soi aussi qui m’a motivée. J’avais vraiment envie de faire ça. Et je savais que j’étais capable de le faire. C’est un des plus beaux spots dans lequel j’ai eu la chance de plonger. C’est ce tout qui a fait que je me suis lancée. 

A quoi pensez-vous lors de toute la durée de votre saut ? 

Le temps de vol est quand même relativement assez court. On est autour de deux secondes. Ça va donc très très vite. Et ce qui me plaît beaucoup dans le Cliff Diving, ce sont les sauts simples entre guillemets où je fais juste un temps de vol. Contrairement à d’autres personnes du groupe qui vont aller chercher la performance. Moi, ce que j’aime vraiment dans ce sport, c’est cette sensation de voler. C’est vraiment un moment où j’ai l’impression d’être posée dans les airs. Et d’avoir un angle de vue qu’on n’a nulle part. Aujourd’hui, c’est ça qui m’intéresse le plus.

Que recherchez-vous dans ce sport extrême ? La sensation de se sentir plus que jamais vivante ? 

C’est exactement ça. Je me sens libre et vivante. Je me sens libre et vivante et mon esprit est assez libéré justement parce que je sais ce que je fais. 

Quel message avez-vous envie de transmettre à tous ceux qui, en regardant votre exploit se disent « Et pourquoi pas moi ? » ? Cette performance n’est pas quelque chose d’anodin. Cela semble réservé exclusivement aux professionnels entraînés…

C’est un peu le revers de la médaille (Rires).  C’est pour ça, lorsque j’ai vu que ça prenait beaucoup d’ampleur, que j’avais pas mal de commentaires de personnes qui voulaient faire pareil, ou alors des commentaires qui disaient que j’étais inconsciente, que c’était trop dangereux, j’ai fait un post sur ma page Instagram. J’ai fait un post, en anglais et en français, pour rappeler que j’étais professionnelle, que je m’entraîne régulièrement, que j’avais fait vingt ans de haut niveau et que je continue à avoir un entraînement régulier. Non, on ne saute pas à vingt-deux mètres n’importe comment si l’on n’a jamais sauté ! Et même moi, à mon niveau, je n’aurais jamais pu faire ce vingt-deux mètres de manière assez sécurisé si j’en n’avais pas fait la semaine d’avant. Il y a des paliers. C’est comme dans tout sport. Il y a des paliers, il y a des règles à respecter.

Donc le message que j’aimerais transmettre, c’est que ce n’est pas parce que vous voyez ça, qu’il faut faire la même chose ! 

Et il faut s’intéresser à tout ce qu’il y a derrière en fait. Aujourd’hui pour cette vidéo-là, je crois qu’on peut parler de buzz. On a dépassé les dix millions de vues avec les partages sur Instagram. Sur ma page on a dépassé le million. Donc il y en a beaucoup qui vont se dire que c’est facile, mais non. Même pour moi, ce n’est pas juste cette vidéo-là. Moi ça fait un an que je fais des vidéos, que je fais plein de spots. 

Ce que je veux dire c’est qu’on voit le résultat aujourd’hui, mais on ne voit pas tout ce qu’il y a derrière ! C’est un message global aussi sur les réseaux sociaux ou dans la vie, c’est que derrière une réussite il y a toujours énormément de travail, énormément de gens aussi, énormément de préparation. Et il ne faut pas l’oublier quand on regarde une vidéo. Et surtout quand on se dit qu’on va faire la même chose.  

Après, moi je trouve ça génial que ça encourage les gens à faire ça parce que c’est un sport qui est génial et qui gagne à être connu. Et qu’il y a trop de parallèle dans la vraie vie ou dans le monde de l’entreprise par exemple comme : être en phase avec la nature, dépasser ses limites, oser, prendre des risques, mais quand même de manière mesurée (Rires). Ça serait ça mon message. 

Avez-vous conscience des risques que vous prenez ? Comment les appréhendez-vous ? Sont-ils les mêmes suivant le lieu et la hauteur du saut ? 

Ce n’est jamais la même chose. Et c’est ce que je trouve génial dans ce sport. Ce n’est jamais le même spot. Et même sur le même spot, ce n’est jamais le même saut parce que ce ne sont jamais les mêmes conditions car on est un sport en extérieur. Et il y a aussi le fait que ce ne sont jamais les mêmes conditions à l’intérieur de moi. 

C’est l’expérience et l’entraînement qui m’ont appris à gérer ces éléments là et à les conjuguer tous ensemble pour avoir une connaissance parfaite de la situation. Et pouvoir m’adapter en conséquence. 

Après, je suis humaine et j’ai aussi besoin d’entraînement. Et lorsque je ne plonge pas pendant trois ou quatre semaines, c’est compliqué pour moi dès le premier saut. J’ai besoin de temps pour m’adapter à nouveau, et pouvoir remonter progressivement. 

Après le vingt-deux mètres de Malte, j’ai eu besoin de deux semaines pour récupérer de cet impact qui a été un peu trop violent pour moi. J’ai senti que j’avais besoin de récupérer de cet impact-là. J’ai repris ensuite progressivement. 

Quelle est votre principale qualité de plongeuse ?

Ma principale qualité est l’élégance.

Puis, en 2017, la consécration. Vous devenez championne du monde par équipe avec votre partenaire Matthieu Rosset ! Quel souvenir gardez-vous de ce sacre ?

C’était vraiment une consécration, pour le titre et l’aspect historique, oui. Et pour l’exploit sportif que ça représentait. Humainement, ça a été tellement riche et tellement précieux. Pour donner une image, c’est comme si dans un dessin-animé, ça avait soudé au sens propre un lien physique entre Alexis, l’entraîneur, et Matthieu et moi. Je vois ce titre vraiment comme un trio et pas du tout comme un duo.

Je pense qu’Alexis ne se rend pas encore compté aujourd’hui du rôle qu’il a pu jouer dans cette équipe-là. Je me souviens des discussions qu’on a eu ensemble, ça me donne des frissons rien que d’y repenser, mais on avait envie d’être ensemble, on avait envie de plonger ensemble, peu importe le résultat. Je me souviens, quand on a dû faire notre série, qu’on a dû annoncer la série qu’on voulait faire, toutes les années d’avant on faisait tout pour faire le meilleur coefficient de difficulté, on a toujours eu la série la plus difficile du monde. Mais cette année-là, j’ai demandé à Mathieu ce qu’il préférait faire comme plongeon : « au fond de toi, quel plongeon tu as envie de faire ? » Il m’a dit lui et lui. Moi j’ai dit c’est lui et lui. Et c’est comme ça qu’on a réussi, parce qu’on « kiffait » ! (Rires). 

Et je me souviens, tout de suite après la compétition, avant le podium, je regarde Mathieu droit dans les yeux et je lui ai dit : « tu sais que si là aujourd’hui, on me propose de m’échanger ce titre contre un titre individuel qui est beaucoup plus prestigieux, qui vaut plus aussi en termes de reconnaissance, franchement, je ne le change pas. »

Et encore aujourd’hui, je reste sur cette position-là parce que ça m’a fait gagner quelque chose d’invisible, d’humain, qui est tellement fort, tellement riche !

C’est vraiment ça le plus beau souvenir de ma carrière. Ce sont ces moments humains, de bonheurs intenses, qui rendent tous les sacrifices de ma vie justifiables. 

Propos recueillis par Alexandre HOMAR.

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